Une histoire de château
Le Comte d'Aulan, aristocrate haut en couleurs décédé en 2004, s’est débattu pendant plus d’un demi-siècle pour sauver de la ruine la demeure familiale et lui redonner le faste d’antan. Un pari, aujourd’hui réussi grâce à son travail, à son acharnement, au soutien constant de ses proches, qui vous permet de découvrir Aulan tel qu’il était encore au début de ce siècle. Avec le concours du buxois et journaliste Alain Bosmans, nous vous proposons un article publié en Septembre 1998 dans le journal du Dauphiné Libéré.
A 88 ans, le toujours très allègre comte d' Aulan a été promu officier des Arts et des Lettres en récompense d’une existence entièrement dévouée à la sauvegarde d’une histoire et d’un patrimoine que ses ancêtres auront contribué à façonner.
Tandis que l’on s’apprête à organiser dans toute la France les journées du Patrimoine durant le week-end du 19 et 20 septembre, une très émouvante cérémonie avait lieu samedi dernier au château d’Aulan, dans un des sites historiques et patrimoniaux les plus originaux de la Drôme provençale. Il s’agissait de promouvoir le maître des lieux, le comte Charles Suarez d’Aulan, au grade d’officier dans l’ordre des Arts et des Lettres pour avoir consacré toute sa vie à restaurer le château familial et d’en avoir assurer la pérennité. En présence de Jean Mouton, président du Conseil Général et de nombreux élus de toute la région, c’est le propre fils du comte, Diégo de Suarez d’Aulan, maire d’Aulan et chevalier du Mérite national, qui fut habilité à remettre cette décoration à son père. La cérémonie s’est déroulée dans la cour d’honneur du château réunissant les membres et amis de la famille du conte parmi lesquels se remarquaient les uniformes de 4 de ses petits-fils qui continuent à servir leur pays dans différentes armes.
Situé dans le sud des Baronnies entre Montbrun les Bains et Séderon, juché à 777 mètres d’altitude sur un éperon rocheux qui domine l’étroit défilé que forment à cet endroit les gorges du Toulourenc, le château d’Aulan (inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques) est toujours la propriété de la famille Suarez d’Aulan et reste la seule demeure privée des Baronnies ouverte à la visite. Une visite que des touristes de plus en plus nombreux chaque année ne manquent pas d’effectuer avec d’autant plus d’intérêt que celle-ci est toujours assurée par le propriétaire des lieux lui-même, le Comte Charles Suarez d’Aulan, en dépit des 88 ans qu’il porte allègrement… Il est vrai que personne d’autre mieux que lui ne peut raconter l’histoire de cette famille et de ce château à la restauration duquel il aura consacré le plus clair de son existence.
Né en 1910, Charles acquiert très jeune le goût de l’histoire et des recherches généalogiques. A 10 ans, il est présenté à l’impératrice Eugénie de Montijo, l’épouse de Napoléon 3, dernière impératrice des Français, dont un de ses ancêtres fut l’écuyer. C’est en 1933 que son cousin germain, le marquis Jean de Suarez d’Aulan (qui sera abattu au combat en plein ciel de France le 8 octobre 1944) lui confie le soin de restaurer le château familial d’Aulan. Pour ce jeune homme de 23 ans la tâche est immense. Le château qui a subi au cours des âges de multiples remaniements a été abandonné et pillé depuis 1914. Il n’y a plus un seul meuble et les bâtiments eux-mêmes sont fortement délabrés. Il est difficile de parler encore de toiture et les murs consentent difficilement à se maintenir les uns aux autres. Loin de se décourager, le jeune comte va réunir toutes ses forces pour tout reconstruire. Le château d’abord, les murs qu’il faut consolider, les escaliers, la toiture, les cheminées, mais également les terres alentour, laissées en friche et que le jeune homme s’acharne à rendre fertiles. Durant plusieurs années, il déploiera des trésors d’énergie, un jour cultivant, un jour maçonnant.
Jean Giono, René Char et Albert Camus seront d’ailleurs frappés par l’enthousiasme de ce jeune hobereau vivant la fourche et la truelle à la main. Car le château d’Aulan en effet, avant de devenir un site touristique, reçu la visite de plumes illustres. Ainsi Jean Giono qui notera lors de sa première visite à Aulan en 1935 : « Comte d'Aulan : il fait marcher sa trompe… pour demander aux paysans s’ils n’ont pas de commissions. Il fait les foins avec des paysans. Il achète des pierres pour son château ». René Char y viendra souvent et particulièrement dans l’hiver 44 lorsqu’il est le « Capitaine Alexandre » et que le château est devenu le P.C. régional de la résistance après le massacre de 35 résistants à Izon la Bruisse. A cette époque, le comte Charles rejoint les maquis du Ventoux avant de s’engager en 1944 dans l’armée régulière où il s’illustrera à la campagne de France et au passage du Rhin. Pour ces hauts faits, il recevra la croix de guerre des mains du Général Koenig. Albert Camus enfin, séduit par le site, la solitude et le profond silence qui l’entoure, envisage peu de temps avant le tragique accident qui lui coûtera la vie, de louer le château pour y finir de rédiger « Le premier homme ».
La restauration d’un monument d’une telle ampleur, la récupération du mobilier et des objets de famille éparpillés aux quatre coins du pays, ne se fait pas, on s’en doute, sans argent. Aussi pour mener à bien cette vaste entreprise tout en élevant ses six enfants, Charles Suarez d’Aulan devra trouver un travail rémunérateur. Dans les travaux publics tout d’abord, puis dans les Ponts et Chaussées où il terminera sa carrière. Ayant été maire de la commune d’Aulan (qui compte 6 habitants aujourd’hui…) pendant plus de 40 ans, il est désormais remplacé à ce mandat par son fils Diégo, mais continue de porter fièrement le titre de « Maire honoraire d'Aulan » que lui a accordé le préfet de la Drôme.
Le comte d’Aulan siège également à l’Académie de Vaucluse d’Avignon où l’on apprécie l’importance et la qualité du travail de recherches historiques et généalogiques qu’il a accompli au fil des ans. Tout en restaurant un monument profondément original (qui servira plusieurs fois de décor au tournage de feuilletons télévisés dans les années 60) le conte d’Aulan s’est aussi attaché, en transformant son château en musée familial, à faire connaître le rôle que les Suarez d’Aulan jouèrent au cours des siècles dans l’histoire de la région. On ne retiendra ici que deux réalisations importantes dont on connaît aujourd’hui la valeur. La création de l’établissement thermal de Montbrun et un vaste programme de reboisement à base de pins noirs d’Autriche sur le flanc des montagnes du Dauphiné.
Oui décidément, en remettant samedi cette haute distinction sur la poitrine de Monsieur le Comte d’Aulan, l’état français n’a fait que reconnaître l’admirable travail accompli par ce sauveur de patrimoine. Tout comme ses ancêtres auront participé à l’écrire, Charles Suarez d’Aulan lui, n’aura eu de cesse de préserver, de sauver et finalement de restituer l’histoire de cette terre à la fois Dauphinoise et Provençale, à laquelle il est si attaché.
Texte Alain Bosmans. Alain Bosmans est également le webmaster du webzine Le Tam-Tam des Baronnies ou vous pourrez retrouver de très nombreux articles sur notre région et son actualité.
Publié le: 10 mars 2008 (mis à jour le 29 sept. 2023)
Auteur: Alain Bosmans
Photos: Portraits © Château d'Aulan avec l'aimable autorisation de Mme Feuillas. Reproduction interdite.